Les attaques de Paris ont concrétisé une crainte relayée depuis plusieurs mois par de nombreux responsables politiques européens, pour la plupart populistes: celle d'infiltrations terroristes parmi les migrants qui affluent depuis cet été par la route des Balkans. Deux des trois kamikazes du Stade de France ont en effet été contrôlés à la frontière grecque début octobre. Depuis, le débat sur l'accueil des réfugiés et l'opportunité de garder les accords Schengen revient en force. Le premier ministre hongrois, Victor Orbán, va jusqu'à estimer, dans une interview à Politico, que «tous les terroristes sont fondamentalement des migrants». Le lien entre terrorisme et immigration, qui s'installe dans les esprits, complique la gestion de la crise migratoire en Europe, regrette Pierre Vimont, ancien diplomate et «senior associate» à la fondation Carnegie Europe.

Pierre Vimont
Vimont est chercheur associé à Carnegie Europe, où ses recherches se concentrent sur la Politique européenne de voisinage, les relations transatlantiques et la politique étrangère française.
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L'Europe a-t-elle sous-estimé le risque d'infiltration terroriste parmi les migrants?

PIERRE VIMONT: Je ne pense pas qu'il ait été pris à la légère. La responsable des Affaires étrangères de l'Union européenne, Federica Mogherini, a alerté sur ce risque dès 2014 alors qu'elle était encore ministre du gouvernement de Matteo Renzi. Seulement, les mesures nécessaires n'ont pas été prises à temps. Le risque d'infiltration terroriste est une réalité à prendre en compte dans le contrôles des migrants à nos frontières. Mais le discours selon lequel tous les réfugiés sont des terroristes potentiels n'est pas acceptable. Aujourd'hui, les gouvernements d'Europe sont sous la pression des partis populistes et de l'opinion publique. C'est le résultat d'un changement de perception de ces migrants: au début de l'été, ils étaient considérés comme des personnes en détresse à aider. Puis, les dirigeants européens ont modéré ce discours. Ils ont estimé qu'on ne pouvait pas tous les accueillir, et qu'ils devaient accepter la répartition qu'on leur proposait au lieu de vouloir systématiquement rejoindre l'Allemagne et la Suède.

La lutte contre le terroriste passe-t-elle par la suspension de la libre circulation dans l'espace européen?

Non, revenir sur l'accord Schengen n'est pas la solution. Le rétablissement des contrôles aux frontières et prévu par le traité, c'est d'ailleurs ce qui s'est passé entre la Belgique et la France au lendemain des attentats de Paris. Pourtant, un homme qui a présenté des papiers au nom de Salah Abdeslam est quand même passé. Par ailleurs, les terroristes en puissance ne reviennent pas tous de Syrie. Certains se sont radicalisés à l'intérieur même de nos frontières. Le problème est plus vaste que la question de l'accord Schengen.

Quelle est l'alternative?

Il faut un meilleur échange d'informations entre les services de police et antiterroristes européens. Actuellement, les «hotspots» grecs et italiens ne font que relever les empreintes des migrants, sans pouvoir faire de contrôle sécuritaire. Ces fichiers d'empreintes et d'identifications doivent être reliés aux fichiers antiterroristes, actuellement beaucoup plus secrets et décentralisés. La réunion des ministres européens de l'Intérieur et de la Justice, vendredi à Bruxelles, va dans ce sens. Ils se sont engagés à adopter avant la fin de l'année un registre des noms des passagers des vols (PNR) au niveau européen. Mais plusieurs points restent à trancher, notamment le temps de conservation de ces données (de deux mois à un an), et la nature des vols retenus, internes ou internationaux. Les Etats membres vont également travailler avec les pays de transit comme la Serbie et la Macédoine pour mieux contrôler les arrivées. Enfin, ils vont tenter de convaincre la Turquie d'accepter plus de réfugiés sur son territoire et de renforcer ses frontières extérieures pour limiter l'afflux.

Cet interview a été originellement publié dans Le Figaro.